Brouillard et bruits bizards ...

Brrrr ... qu'elle sombre journée d'aujourd'hui. Sombre ? En fait non, ensoleillée. Très ensoleillée comme souvent des jours de ce printemps avancé. Mais non, c'est bien ce cimetière, entouré de brume, qui est d'une sombre sombrité ... Tipouik voletait dans ce coin qu'il n'avait encore jamais vu. Un veritable cauchemard ! Mais le Troglodyte, aussi aventureux qu'il était, n'avait plus du tout peur des apparences, et avait de toutes facons envie de frissoner un peu. Sifflotant gaiement, il fit quelques galipettes aeriennes avant de venir se poser sur une des croix penchées de ce cimetière abandonné. Le froid obligea le petit oiseau à se rattatiner, et à rentrer sa tête dans les épaules, toutes plumes ebouriffées. Il regarda les alentours, les yeux plissés. Ce Brouillard était tel qu'on ne pouvait voir plus loin que le bout de son bec. Pourtant, des dizaines de croix de bois vermulues se distinguaient nettement entre d'autres tombes de pierre, elles même recouvertes de moisissures verdâtres. Des bruits étranges parvenaient aux oreilles de Tip' ... Des sifflements, des craquements. Le vent pourtant semblait lui-même effrayé à l'idée de passer ses courants dans ce sinistre endroit. Rien de bien rassurant. Le petit Troglo se demanda bien s'il fallait rester ou non, et était même près à partir, quand il entendit soudain un chantonnement, non loin d'ici. Même tout près. Etait-ce un esprit vagabond qui rodait parmis les tombes ? Ou bien un autre oiseau qui se rapprochait de Tip' ? Celui-ci n'en savait strictement rien. Il redressa la tête, serein, nullement effrayé, et chercha des yeux l'origine de ce qui pourrait être le chant d'un oiseau ou d'un ... macabé !

Et ce chant provenait d'un, ou plutôt d'une, magnifique Pyagargue à Tête Blanche.
L'aiglonne aimait se promener à cet endroit malgrés cet ambiance morose.
Au moins, elle pouvait être tranquille pendant quelques instants.
Elle pouvait méditer sans que l'on vienne la déranger.

Ayana, car c'était ainsi qu'elle s'appelait, planait tranquillement, ses ailes fendaient l'air dans un sifflement léger.
Elle n'avait pas encore repéré le ptit piaf qui était installé non loin de là.
Il faut dire, il était vraiment petit ce piaf !

Après avoir fait quelques voltes agréables, la chef du Clan des Serres Fourchues replia légèrement ses ailes, releva le buste et ralentit.
Elle s'aggrippa avec une certaine souplesse sur une de ces vieilles croix qui ornaient le cimetière.

Elle entrouvrit son bec jaune vif et laissa échapper un cri aigu, perçant, résonnant.
De son regard ambré, elle balaya les alentours, jusqu'à apercevoir sur une croix à côté d'elle, un petit oiseau.

Mais, elle n'y prêta guère plus d'attention que ça, reposant ses yeux sur l'horizon brumeux qui recouvrait ce lieu au silence pesant.

Tipouik releva la tête vers cette ombre noire qui semblait planer au dessus du cimetière. Un aigle. Decidement, il n'y avait que ça sur les Terres Du Soleil Levant. Non pas qu'il n'aimait pas les aigles, mais c'était les aigles qui ne l'aimait pas vraiment l'Tipouik ! Le p'tit piaf regarda la grande femelle se poser non loin de lui, sur une croix de bois plantée dans ce qui devait être la tombe d'un macabé. Devait, car les pierres étaient explosées et recouvertes de verdure. Le Troglodyte sourit poliement, bien que sa tête lui disait autre chose de moins gentil ! Mais l'aigle se mis à siffler bruyamment. Tipouik sursauta ! Le silence pesant qui tombait sur ce cimetière fut brutalement rompu à tel point que le Troglodyte manqua de tomber de sa croix ! Il se redressa, les plumes encore toutes ebouriffées par la surprise. Il grogna legerement à l'attention de la femelle et la regarda froidement.

- Pouvait prevenir avant de hurler comme ça ... J'ai failli tomber !

L'aiglonne s'était confortablement installé sur sa croix, pattes à demi-repliées, et corps avachi.
Et tout d'un coup, en fait, juste après son cri, le chtit piaf se mit à crier comme un putois !

Ayana le regarda avec un oeil plus grand que l'autre, expression mélangée de surprise et d'agaçement.
Fallait pas qu'il s'excite comme ça le petit !

A peine concernée, la Pygargue à Tête Blanche détourna le regard et se lissa une plume de l'aile droite avec son bec.
Ce fut seulement à ce moment là qu'elle répondit d'un ton détaché, et peut-être aussi un peu sarcastique :

- C'est pas mon problème si tu tiens pas sur tes pattes. -

Décidemment, ces minuscules oiseaux étaient aussi râleur que petit !
Cette pensée fit apparaitre un mince sourire sur le bec de l'aiglonne, mais celui-ci ne resta pas là bien longtemps.

Le regard perçant, teinté de sadisme, d'Ayana se posa de nouveau sur l'oiseau inconnu.
Elle au moins, elle avait de la voix !

Tipouik, agacé, se decalla un peu plus du sens opposé de l'aiglonne, toujours perché sur sa croix de bois vermoulue. Decidemment, les aigles se croient tout permis ! Il marmonna quelque chose dans son bec et leva les yeux au ciel. Normal qu'il ne tenait pas sur son perchoir ! Lui n'avait pas d'affreeeuses griffes crochues aux bouts de ses pattes si fines et si gracieuses. Et non pas fourbues d'horribles excroissances, servant à depecer de pauvres proies sans defence, faisant gicler le sang et sortir les boyaux des ... Blurp ! Tipouik eu un haut le coeur. Les aigles étaient vraiment d'affreuses créatures. Sans pitié, effroyables et durs. Le Troglodyte esquissa un fièr sourire en regardant Ayana en coin.

- Je ne tiens peut être pas sur mes pattes, mais je n'ais pas d'horriiibles yeux plein de violence, moi ! Et arrêtez d'me regarder comme ça madame, j'ai l'impression que vous aller me devorer tout cru ...

L'aiglonne ne quittait plus l'oiseau des yeux.
Elle vit donc son roulement des yeux, son air dégouté...
Décidemment, ces chtits piafs ne changeront jamais !

Horribles yeux ? Et puis quoi encore ?
Elle, au moins, elle possédait une véritable vue perçante, pouvant aperçevoir la moindre proie sans aucun mal !
Méchanceté ? Peut-être... Et Ayana en était fière !

Cependant, malgrés les critiques négatives, la Pygargue à Tête Blanche ne s'énerva pas.
Bien au contraire, cet oiseau l'amusait.

- Et qu'est-ce qui te dit que ce n'est pas réelement mon attention ? -

Un sourire en coin apparut chez Ayana.
Un sourire plutôt mauvais même.
Mais, malgrés son air sérieux, elle avait cette lueur d'amusement dans le regard.

Tipouik tourna la tête, et soutint insolemment le regard perçant de l'aiglonne. Quelle vaintarde ! Bon. Tipouik aussi m'enfin. La femelle le regarda d'un air mauvais. Un air bien connu du p'tit Troglodyte. Combien de fois avait-on essayer d'le bouffer ? Il ne comptait même plus ! Tout ce qu'il savait c'est qu'a chaque attaque, il esquivait, et apprenait de mieux en mieux à utiliser son cerveau plutôt que sa force. Il savait qu'eviter les coups était la solution la plus intelligente. Pas forcement la plus facile. Ce n'était pas non plus une sorte repli ou une faiblesse. Au contraire. Tipouik etait malin et debrouillard. Et cette aiglonne s'ajoutait à sa longue liste d'aigles qui avait un jour ou l'autre, l'audace de le regarder de haut. Le Troglodyte sourit sournoisement et fixa l'aigle d'un air autain.

- Parce que les vrais mechants, et les vrais temeraires, ne disent pas qu'ils sont mechants et ne disent pas qu'ils sont temeraires. Aussi vous essayez de me faire croire que votre intention est d'me bouffer, cela veut donc dire que vous ne le ferez pas ! Ou que vous n'en avait ni l'envie, ni le courage.

Ayana eut un court éclat de rire cristallin.
Décidemment, ce chtit piaf était plutôt malin ! Et amusant pour courroner le tout !
Quelle audace pour un oiseau de sa taille !

Mais, l'aiglonne aimait ça.
Elle préférait les audacieux que les lâches.

Elle lui répondit, un sourire cette fois plutôt sincère au bec :

- Chtit piaf, tu es bien intelligent, je dois l'avouer. Ton courage t'honore. -

La Pigargue à Tête Blanche inclina légèrement la tête sur le côté, saluant respectueusement le petit oiseau.

Rares étaient les volatiles à oser se mesurer aux rapaces.
Et ils étaient tellement rares que Ayana ne voulaient pas leur faire de mal. Enfin, dans la limite du respect !

- Effectivement, je ne te mangerai pas. Non seulement je n'en vois pas l'interêt, mais en plus, je préfère de loin les petits mammifères. -

Ayana se lissa machinalement une de ses plumes blanches du cou avant de regarder de nouveau l'horizon de ses yeux ambres.

Tipouik esquissa un sourire. Il était content qu'une aiglonne aussi imposante, par rapport à lui, le respecte de la sorte. Et aille même jusqu'a lui faire une legère reverence de la tête. Bien sûr qu'il était intelligent ! Il le savait bien lui ! ^^ Bien sûr qu'il était malin et courageux. Et non, il ne fallait pas le sous-estimer. L'aigle royale lui avoua qu'en effet, elle ne desirait pas le manger. Mais quelle preferait manger des p'tits mammifères. Là dessus, Tip' était inflexible : Il était encore et toujours dégouté par les rapaces et leurs habitudes carnivores ... Bon. Les 'tits piafs aussi étaient parfois carnivores. D'ailleurs Tipouik raffolait de vers de terre. Mais bon. Il les aspirait comme des spaghettis, et ne les ecorchait pas sauvagement comme le faisaient les aigles ou les nocturnes.

- Pourquoi ne pas devenir vegetarienne ?!

Continuant à se lisser par réflexe le plumage du cou, l'aiglonne faillit avaler une de ses plumes de surprise, lors de la proposition du chtit piaf.

Végétarienne ? Et puis quoi encore ? Quelle drôle d'idée !

Les yeux ronds comme des billes, Ayana se tourna vers le petit oiseau.
Il y eut un court moment de silence.
Bec entrouvert pendant quelques secondes, la Pygargue à Tête Blanche prit choisit avec soin ses mots.
Elle était tellement étonnée qu'en réalité, elle ne savait pas quoi répondre.

- Et pourquoi devrais-je devenir végétarienne ? -

L'aiglonne inclina la tête sur le côté, accompagnant la contre-question.
Pour Ayana, manger des mammifères était quelque chose de tout à fait naturel.
Tout comme les déchirer, les écorcher et les égorger avant de les tuer.

Mais, tout cela n'était pas fait par sadisme...
Les rapaces faisaient de leur mieux pour ne pas faire souffrir leurs proies, seulement, ce n'était pas toujours façile.
Enfin, tous les rapaces, peut-être pas... Mais Ayana, elle, respectait beaucoup tous es animaux qui lui servait de nourriture. C'était grâce à eux si elle pouvait vivre.

Enfin... Elle devait bien avouer que tuer dans la douleur un jeune lièvre ne l'empêchait pas de dormir la nuit !